Moi, je vis la vie à côté,
Pleurant alors que c'est la fête.
Les gens disent : "Comme il est bête !"
En somme, je suis mal coté.
J'allume du feu dans l'été,
Dans l'usine je suis poète ;
Pour les pitres je fais la quête,
Qu'importe ! J'aime la beauté.
Beauté des pays et des femmes,
Beauté des vers, beauté des flammes,
Beauté du bien, beauté du mal.
J'ai trop étudié les choses ;
Le temps marche d'un pas normal :
Des roses, des roses, des roses !
Charles Cros
recueil : Le collier de griffes
phare du port de Doëlan photo Jalm, cliquez sur l'image
Je présume le temps qu’il fera dès l’aurore,
La vitesse du vent et l’orage certain,
Car mon âme est un peu celle des sémaphores,
Des balises, leurs sœurs, et des phares éteints.
Jean de La Ville de Mirmont (1886-1914)
L’Horizon chimérique Recueil posthume 1920
auteur né une année en 4 :
Ophelia, par John Everett Millais, cliquez sur l'image
Fleurs sur fleurs ! fleurs d'été, fleurs de printemps, fleurs blêmes
De novembre épanchant la rancoeur des adieux
Et, dans les joncs tressés, les fauves chrysanthèmes ;
Les lotus réservés pour la table des dieux ;
Les lis hautains, parmi les touffes d'amarante,
Dressant avec orgueil leurs thyrses radieux ;
Les roses de Noël aux pâleurs transparentes ;
Et puis, toutes les fleurs éprises des tombeaux,
Violettes des morts, fougèress odorantes ;
Asphodèles, soleils héraldiques et beaux,
Mandragores criant d'une voix surhumaine
Au pied des gibets noirs que hantent les corbeaux.
Fleurs sur fleurs ! Effeuillez des fleurs ! que l'on promène
Des encensoirs fleuris sur la terre où, là-bas,
Dort Ophélie avec Rowena de Trémaine.
Laurent TAILHADE (1854-1919)
le tombeau de la fileuse à Guimaëc photo Jalm, cliquez ur l'image
Toujours vivre et mourir, revivre et remourir.
N’est-il pas de Néant très pur qui nous délivre !
Mourir et vivre, ô Temps, remourir et revivre :
Jusqu’aux soleils éteints nous faudra-t-il souffrir !
Stuart Merrill
Les Gammes (vers)
Chez Vanier, 1887
oliviers par Van Gogh en 1889, cliquez sur l"image
Rêves d’enfant.
circé des bois et d’un rivage
qu’il me semblait revoir,
dont je me rappelle d’avoir
bu l’ombre et le breuvage ;
les tambours du morne maudit
battant sous les étoiles
et la flamme où pendaient nos toiles
d’un éternel midi ;
rêves d’enfant, voix de la neige,
et vous, murs où la nuit
tournait avec mon jeune ennui…
collège, noir manège.
Paul-Jean Toulet
Les Contrerimes : poèmes
Édition Émile-Paul frères, 1929
pour en savoir plus sur Omar cliquez sur l'image
Pendant la saison des fleurs, bois du vin couleur de rose ;
bois-en aux sons plaintifs de la flûte, au bruit mélodieux de la harpe.
Moi, j'en bois et je m'en réjouis ; puisse-t-il m'être salutaire !
Si tu n'en bois pas, qu'y puis-je ? Va-t-en donc manger des cailloux !
Omar Khayyam (1046-1131) les roubaïates
caravelle de pierre église de Roscoff photo Jalm, cliquez sur l'image
L'étoile du berger tremblote
Dans l'eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte.
C'est l'instant, Messieurs, ou jamais,
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout désormais !
Le chevalier Atys, qui gratte
Sa guitare, à Chloris l'ingrate
Lance une oeillade scélérate.
L'abbé confesse bas Eglé,
Et ce vicomte déréglé
Des champs donne à son coeur la clé.
Cependant la lune se lève
Et l'esquif en sa course brève
File gaîment sur l'eau qui rêve.
Paul VERLAINE (1844-1896)
anse du Pouldu Guipavas phoo Jalm, cliquez sur l'image
Je connais tous les noms des agrès et des mâts,
La nostalgie et les jurons des capitaines,
Le tonnage et le fret des vaisseaux qui reviennent
Et le sort des vaisseaux qui ne reviendront pas.
Jean de La Ville de Mirmont (1886-1914)
L’Horizon chimérique Recueil posthume 1920